Je me souviens de mon père.
Je me souviens de mon père quand il me confectionnait des devinettes qui n’existaient pas.
Pour me voir sourire, pour voir son sourire.
On nageait dehors, fous de Bassan en basse mer.
Parce que moi je savais déjà que la vie n’était pas faite de ces réponses en toupies écarlates.
Je me souviens des amis de mon père.
En fait je me souviens du premier ami que mon père m’a présenté.
Il avait le corps arbre, tout en longueur, des cheveux lisses et courts et châtains aussi,
des étoffes partout qu’il abandonnait une fois rentré dans la maison.
C’était l’ami de mon père.
Et tous les amis de mon père étaient certainement faits du même moule, un ami est un ami.
Par la suite, j’ai rencontré d’autres amis de mon père. Mais, à chaque fois,
leur aspect me trompait sur l’identité même d’un « ami ».
Une fois l’un n’avait pas de cheveux et le crâne aussi glabre qu’une feuille de papier.
J’envisageais d’y dessiner des chevaliers ou les cartes d’un pays qui n’existait qu’en mes paupières.
Une autre fois, l’ami était plus fort ou plus mince, ou sa peau prenait des couleurs inconnues.
Je décidais donc que « ami » n’était qu’une image fausse et intemporelle.
Cet être changeait trop pour exister.
Je ne connaissais pas le temps.
Je me souviens du souffle de mon père, alors que je n’existais presque pas.
Il dessinait avec sa bouche et ses soupirs des estuaires sur le ventre de ma mère.
Je sentais son souffle résonner en ma cathédrale.
Croyait-il insinuer dans ma chaire en devenir des destins de marin ?
Ne pouvait-il pas attendre, enfin ? Moi je savais attendre quand je ne savais pas.
Mon père, je l’ai rencontré rapidement après, à ma naissance. Ma mère, je la connaissais bien déjà.
Sa peau et son odeur étaient moi et j’étais sa peau et son odeur.
Et j’ai vu le jour, le jour dont parlent les hommes qui s’approchent de la mort.
L’instant incrédule où tout le monde peut rire de n’importe quoi.
C’est alors que j’ai connu mon père.